Le chef d'entreprise et l'Etat providence

Le départ de Monique

Maurice  termine son discours de départ par l’éloge de son assistante, Monique âgée de 52 ans. « Ma dernière pensée en vous quittant va à Monique qui a été mon assistante pendant plus de vingt ans. C’est peu dire que Monique est une perle, elle m’a remplacé à chacun de mes déplacements, organisé la maison, entendu les doléances de nos camarades syndiqués, les a guidés dans leurs procédures contre les employeurs a su réconforter ceux qui perdaient leurs emplois et leur insuffler la combativité nécessaire pour retrouver l’envie de poursuivre leur chemin professionnel ». Maurice s’est tourné vers Stéphane, son successeur : «  je souhaite, Stéphane, que tu prennes soin de Monique jusqu’à sa retraite car son tour viendra aussi dans huit ans ».

Pendant le discours de son patron, Monique pensait à toutes les attentions qu’il avait eu pour elle, les boîtes de chocolats pour ses anniversaires, des remerciements pour son aide, jamais le moindre reproche en 20 ans, même quand elle faisait une erreur, il gardait le ton d’un formateur. D’une petite secrétaire, il avait su faire son bras droit en valorisant ses tâches.

Monique prit une semaine de vacances accordées par son ancien patron. Quand elle revint, le bureau de direction où elle travaillait avec son patron était en travaux. Elle fut placée dans la salle d’archives à l’autre bout de l’étage, sur un petit bureau composé d’une planche avec des tréteaux. Il y avait un mot sur son bureau lui enjoignant de classer les archives.

Une fois les travaux terminés, Stéphane s’installa avec une jeune et belle assistante de 25 ans. Monique comprit qu’elle ne quitterait plus les archives et qu’elle était placardisée, elle, qui avait tant de fois réconfortée les salariés qui venaient se plaindre à son syndicat de cette forme de harcèlement. Monique n’avait plus de contact avec le public. Une comptable qui l’avait jalousée pendant ces 20 ans venait lui porter des archives à classer. Elle prenait un malin plaisir à mélanger les documents quand elle venait chercher des factures ou des dossiers pour le patron. La nouvelle assistante l’ignorait.

Au bout de trois mois, le patron vint la voir et lui demanda de porter à la banque des chèques et de l’argent liquide de la caisse, car il devait partir en voyage. Monique signa le bordereau puis se rendit à l’agence. Elle était fière d’avoir de nouveau une telle responsabilité. Le caissier compta l’argent, et pris les chèques. Huit jours plus tard, la comptable vint la voir : « il y a un problème, Monique, je vous ai donné 27340,35 € et la banque indique 2734,35 € qu’avez-vous fait de l’argent? ». Monique blêmit : « j’ai tout donné, je ne comprends pas ». Une demi heure plus tard, Stéphane convoqua Monique en présence de la comptable et de l’assistante : « Vous avez volé une grosse somme au syndicat, il faut la rendre ». Monique s’écria : « non je n’ai rien volé, j’ai remis à la banque tout ce que vous m’avez donné ». Stéphane lui dit d’un ton calme, : « En plus d’être une voleuse, vous êtes une menteuse, nous avons le bordereau de la banque et le bordereau que vous avez signé, c’est bien votre signature n’est ce pas ».

Monique s’emporta : « je ne suis pas une voleuse, c’est un coup monté, vous m’avez mis au placard et maintenant vous voulez me licencier ». Stéphane répondit : « comment pouvez vous porter de telles accusations à mon encontre et à l’encontre de notre comptable. Vous ajoutez la diffamation au vol. Vous savez que nous pouvons porter l’affaire au pénal.» Stéphane lui tendit une convocation à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement en raison de vol d’espèces qui lui avait été confiées. Il demanda à Monique de signer un exemplaire avec la mention « reçu en main propre ce jour, le… ». Ensuite, il lui expliqua qu’elle était mise à pied à titre conservatoire.

Quatre jours plus tard, Monique revint au syndicat. Ses anciens collègues détournèrent la tête pour le pas lui parler. Ils avaient assisté à une réunion au cours de laquelle Stéphane avait expliqué qu’elle avait volé une somme très importante en espèces qui lui avait été confiée. Stéphane avait aussi expliqué qu’elle était devenue alcoolique et qu’il y avait aussi d’autres faits graves qu’il ne pouvait pas évoquer par simple charité chrétienne. Cela déclencha de folles rumeurs. Stéphane souhaitait montrer à tous un visage humain et semblait regretter de devoir licencier cette employée. Il ne pouvait pas faire autrement et souhaitait surtout lui éviter des poursuites pénales pour la protéger.

Stéphane reçu Monique dans son bureau. Le ton était tout à fait cordial: « Vous savez pourquoi, je vous ai convoqué, vous nous avez dérobé plus de 20 000 €. Acceptez vous de nous les rendre, avez-vous réfléchi à cela  ou continuez vous de nier ». Monique répondit calmement, : « je n’ai rien volé ».

«Si ce n’était que cela, mais nous avons aussi constaté des difficultés, des dysfonctionnements dans votre travail qui vous ont été plusieurs fois signalé par mon assistante et la comptable. Malgré ces avertissements, aucune amélioration  n’a été constatée .» Monique était sonnée, elle cherchait quelles erreurs elle avait pu commettre, elle ne trouvait rien. Stéphane repris : « C’est la raison pour laquelle nous sommes amenés à prendre à votre encontre une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement. Je vous précise que j’ai reçu deux attestations de vos collègues qui prouvent un comportement inacceptable de votre part.»

Monique était complètement déstabilisée. Curieusement, elle ne répondit pas, elle cherchait dans sa tête ce qu’elle avait pu faire de si grave dans sa tête. Elle ne trouvait rien, mais elle continuait à chercher en se sentant coupable. Elle se demandait ce qu’elle avait pu faire pour mériter cela. Monique était extrêmement attachée à son travail. Elle n’avait plus que cela dans sa vie depuis la mort de son mari dans un accident de voiture. Dans un sursaut, elle tenta de se défendre : « vous n’avez rien contre moi, j’ai toujours réalisé mon travail avec sérieux, d’ailleurs Maurice m’avait félicité pour ma conduite devant tous les salariés. Vous ne pouvez pas avoir oublié cela.» Stéphane regarda par la fenêtre avec un sourire en coin. Il lui montrait ainsi qu’il était ailleurs dans un après où elle n’avait plus sa place. Puis il se décida à lui porter le coup de grâce : « il vaut mieux ne pas parler de Maurice. Il vous avait accordé sa confiance, j’imagine que vous l’avez manipulé pendant de longues années ; d’ailleurs, il avait des doutes sur vous et m’en a fait part ; il m’a dit en aparté de me méfier de vous et il avait bien raison.»

C’en était trop, le sol se dérobait sous les pieds de Monique. Elle décida de mettre un terme à l’entretien pour ne pas pleurer devant son nouveau patron. Elle se leva et rentra chez elle. Trois jours plus tard, elle recevait sa lettre de licenciement. Cette lettre fut un véritable choc. Elle décida de se battre devant tant d’injustice et se rendit chez un des avocats de gauche qu’elle conseillait aux salariés victimes de licenciement abusifs.

Me X la reçut et l’écouta. Il se montra suspicieux, lui demanda ce qu'elle avait fait pour être ainsi brutalement licenciée. Il avait beaucoup de mal à comprendre comme elle avait pu perdre l’argent à supposer qu’elle ne l’eût pas volée. Finalement, il lui expliqua qu’elle n’était pas défendable, qu’elle n’avait pas de preuves et puis, s’il la défendait, il risquerait de perdre la clientèle du syndicat qui le faisait vivre. De plus aux prud’hommes, elle se trouverait face à un juge qui appartenait à son syndicat et qui influerait sur les autres juges.

Alors Monique rentra chez elle et retourna sa colère qui ne pouvait pas s’exprimer contre elle même.  Quelques mois plus tard, elle décéda d’un cancer généralisé. Monique n’est pas morte de maladie. Monique a été victime d’un processus de meurtre psychique sur fond de harcèlement managérial et de manipulation perverse.

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